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La peur de souffrir

« Il y a ceux qui ont peur de la vie et ceux qui ont peur de la mort. En fait, ce sont les mêmes... » François Morel

« J'ai eu un très grave accident quand j'ai eu 9 ans. J'ai failli me retrouver alité à vie, avec une jambe brisée.

Ces avant proues en bois où on attache les bateaux sont souvent faites avec des lattes de bois, qui sont ajourées. J'ai couru pour épater mes cousines et faire le saut de l'ange. J'ai glissé et ma jambe est tombée à l'intérieur d'un espace, mon corps a basculé en avant. Ce qui fait que je me suis cassé le fémur, mais dans ce sens-là. Ma jambe est revenue vers moi.

Donc c'était un accident très très mauvais. J'ai eu pas loin de 10 opérations pour récupérer cette jambe. Le premier médecin avait pronostiqué la jambe raide... à vie. C'est assez terrible. J'ai failli rester dans un fauteuil roulant. J'ai perçu ce qu'aurait pu être ma vie si j'avais été handicapé. J'ai été hyper conscient de la peur de perdre l'usage de ma jambe. La peur de l'opération, de souffrir... À chaque fois, ce sont des anesthésies. Tu pars dans le brouillard, tu ne sais pas ce qu'ils vont te faire véritablement, parce que quand t'es petit, t'as quand même une force d'imagination très très grande.

A chaque fois que j'ai été plâtré, ma jambe ne pouvait pas grandir. J'ai perdu en volume. Ma jambe était complètement atrophiée, j'ai perdu jusqu'à 6 centimètres. Il a fallu que je fasse énormément de rééducation, d'élongation, et ça, ça fait très mal. Pendant 4 ans, au moment de l'adolescence, j'étais plutôt assis, qu'actif. À ne pas pouvoir me déplacer, ou en béquilles, ou avec des plâtres. À voir mes copains jouer et ne pas pouvoir jouer. À ronger son frein en se disant "si je m'en sors, je ferai ci, je ferai ça..."

C'est paradoxal parce que c'est à la fois ce qui m'a fait rencontrer la lecture, j'allais dire "contraint et forcé". Les jeux vidéo, ça ne me plaisait pas, donc j'ai plongé complètement dans l'univers du livre qui ne m'a jamais quitté. Mais la contrepartie, c'est que je ne supporte pas d'être derrière un bureau trop longtemps. Quand j'étais en classe prépa, j'avais toujours un ballon dans mon sac. J'ai besoin de cette dépense-là, et elle vient de ce moment. Je comble un besoin. Et je pense aussi que c'est une grande joie de sentir son corps vivant. On se sent vivant à travers l'expérience du corps. Marcher, courir, sauter, grimper et tout, ça m'a toujours plu...

Une des dernières opérations que j'ai eu, j'avais 14 ans. C'est une opération où on m'enlève les broches... enfin c'est quasiment la fin, et j'ai déjà récupéré l'usage de ma jambe. Et dans la nuit, je vois que le garçon qui est à côté de moi se met sur son séant. Il se met à côté de son lit. Il prend sa jambe, j'entends "schlack, schlack", il l'enlève. En fait, il avait une prothèse articulée que j'avais pas vu. Il prend ses béquilles, il va aux toilettes. Il va faire pipi, il revient, il remet sa jambe, il se met dans le lit. Et là… dans ma tête, je me dis mais "personne me l'a dit. Ils vont m'amputer, c'est sûr et certain. Voilà, j'ai compris ! Il n'y a aucune raison logique pour que je sois à côté de ce garçon pour une opération qu'on dit "mineure" pour moi." Et là j'ai... oui, là j'ai flippé ! C'était complètement parano, parce qu'en réalité, j'avais une opération bénigne. C'était vraiment une émotion de peur.

Ce qui caractérise la peur, c'est de ne pas savoir ce qu'il y a derrière, de ne pas savoir ce qui va se passer. J'ai gardé tout ça pour moi, je ne m'en suis jamais vanté. Je bénis... le chirurgien qui m'a opéré de m'avoir sauvé. »

Denis Gombert


Crédit photo : Creedi Zhong

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La peur de souffrir

"La peur de souffrir" par Denis Gombert

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