Il peut aussi y avoir une problématique d'abandon si l'enfant a un problème au moment de l'accouchement, soit parce qu'il est prématuré, soit parce que celui-ci se passe mal. Et à ce moment-là, il se retrouve en néonatale. Et il y a beaucoup de patients qui ressentent l'abandon parce qu'ils ont été arrachés brutalement du sein maternel.
Comment se décrète cette peur ? Quels sont les symptômes ?
Le symptôme, c'est qu'on n'est jamais tranquille. Il y a toujours une peur d'abandon. Les gens qui ont peur de l'abandon ont toujours peur que ça ne dure pas. Quand ils sont avec vous, ils sont « plein pot » avec vous si j'ose dire, en « pleine fusion » ; mais lorsque vous dites « au revoir », ils ont le sentiment que le monde s'écroule. Ils ne prennent pas conscience qu'ils vont vous retrouver dans une heure, dans deux jours ou dans cinq minutes peut-être.
L’autre symptôme, c’est le sentiment de panique. En général, pour combler la panique, on va boire, on va manger, on va fumer, on va commencer à avoir des comportements addictifs notamment. Et ces addictions sont en relation avec les peurs de l'abandon.
Uniquement ?
Non, pas uniquement. Mais si vous voulez, tous les gens qui ont peur de l'abandon, ont de fortes chances d'avoir une addiction. Mais tous les gens qui ont une addiction ne sont pas forcément abandonnés…
Qu'est-ce que vous conseillez comme remède ?
D'abord, il faut faire la différence entre la relation fusionnelle et la relation d'amour. Une relation fusionnelle, c'est très toxique, c'est « quand tu t'en vas, je n'existe plus. » Alors qu'une relation d'amour, c'est une relation qui dit « je peux m'en aller, et tu es toujours dans mon cœur et je suis toujours dans le tiens ». Donc si vous voulez, il faut apprendre aux gens à aimer vraiment.
Comment on fait pour aimer vraiment ?
Et bien on exprime ses sentiments. Par exemple, si je suis dépendant affectif, je vais vous dire « j'ai peur que dans cinq minutes, vous raccrochiez, et je ne sais pas si je pourrai vous revoir. » Vous voyez ? Le remède serait de me répondre « Non Pierre, écoutez, je suis là. On vous rappellera pour une autre occasion. Le moment passé ensemble a été super, etc. ». Il faut me redonner envie de vivre, pendant que vous n'êtes pas là.
Donc le remède, c'est l'autre ?
Le remède, c'est l'autre, oui ! Ce n'est pas en se disant, tout seul dans son coin, « je ne suis pas abandonné(e), je ne suis pas abandonné(e), je ne suis pas abandonné(e) »… Ça ne marche pas !
Il faut s'entourer de personnes qui ont compris notre peur, des personnes à qui on a osé l'exprimer, et qui ne vont pas nous culpabiliser en nous disant « Olala ! Dès qu'on te laisse cinq minutes, tu piques une crise ! » Vous voyez ce que je veux dire ? L'autre est vraiment très important car il est chargé de remplacer ce que le parent n'a pas fait quand on était petit.
Chez toute personne qui a peur d'être abandonnée, il y a l'adulte, et puis il y a le petit garçon, la petite fille qui est au fond de soi. C'est celle-là ou celui-là qui pose problème, ce n’est pas l'adulte. Donc, le remède le plus efficace, c'est de rendre adulte cette personne. On parle entre adultes.
Qu'est-ce qu'on ne sait pas sur ce sujet ?
La société dans laquelle on vit actuellement est une société qui isole les gens les uns des autres. Il y a de plus en plus de gens qui se sentent abandonnés. C'est pour cela qu’on assiste à une résurgence - ou même à une augmentation - de personnes qui ne veulent pas s'engager dans une relation, par peur d'être abandonnées. On se rencontre un matin et on se quitte le soir ou le lendemain matin. C'est le principe de Tinder et de tous les sites de rencontre. La peur de l'engagement est directement liée à la peur de l'abandon. Ça, c'est le premier point.
Le deuxième, c’est les réseaux sociaux. C'est quelque chose qui est complètement artificiel, qui donne l'impression qu'on n'est jamais abandonné, mais c'est complètement virtuel ! Et aujourd'hui, si vous voulez, on comble le sentiment d'être abandonné. On le comble avec les « likes »... Si j'ai des « followers », si j'ai des « likes », j'ai le sentiment d'exister, de ne pas être abandonné.
L’abandon, c'est le drame de la société aujourd'hui, si je reprends uniquement les chiffres des personnalités borderline, qui ont en général tous peur d'être abandonnés. Eh bien, ça représente entre 4 et 5 % de la population, entre 13 et 35 ans. Mais on peut avoir peur d'être abandonné, sans être borderline.
Et vous pouvez expliquer ce lien entre peur de l'abandon et peur de l'engagement ?
La peur de l'engagement, c'est le manque de confiance en soi et en l'autre. En général, on a peur de l'engagement parce qu’on a une mauvaise image, ou un mauvais exemple dans lequel on a grandi. Par exemple, vous êtes une petite fille ou un petit garçon, et vous avez été victime du divorce de vos parents quand vous aviez 6, 7, ou 8 ans. Vous avez vu votre papa partir et ne plus jamais revenir. Ou inversement, maman qui s'en va… Et bien pour vous, c'est terrible. Vous avez vécu l’abandon. Pour vous, l'engagement ne signifie pas qu'on va rester ensemble toute la vie, parce que ça, c'est du fantasme. Les enfants qui ont été exposés à des situations de rupture, ont été exposés à la rupture du lien... Ces personnes-là, quand elles deviennent adultes, ont une peur bleue de l'engagement.
Pour conclure, tout le monde a-t-il peur de l'abandon ?
Si vous voulez, les êtres humains sont les mammifères les plus fragiles de la planète. Un petit homme tout seul, il meurt. Parce qu’on est hyper dépendants, on a besoin d’affection ! Les animaux ont besoin d'être nourris. Nous, il n'y a pas que la nourriture, il y a aussi l'affection, et c'est ce qui fait la différence ! L’amour est hyper important. On est des êtres d'amour. On a besoin d'énormément d’amour. Si vous élevez un enfant, que vous le nourrissez bien, que vous vous occupez bien de lui, mais que vous ne lui donnez pas d'amour, vous allez en faire un « schizophrène » !
Conversation sur l’abandon, avec Pierre Nantas, psychothérapeute et Président de l’AFORPEL - Association pour la Formation et la Promotion de l’Etat Limite, www.aforpel.org