On parle d'impulsivité quand des actions sont prématurées, ne sont pas préparées et comportent des risques, notamment des conséquences non souhaitées. Dans la vie courante, on parle plus d'impulsivité, comme le fait d'agir avant de réfléchir, d'agir sans prendre en compte les conséquences, d'agir sous le coup de l'émotion, ou bien de ne pas pouvoir se retenir de faire quelque chose ou ne pas pouvoir retarder une action.
Tout le monde peut se montrer impulsif dans certaines situations, mais tout le monde ne l'est pas de façon régulière et stable. Ceux qui le sont régulièrement, peuvent aussi l'être seulement dans certains domaines de leur vie. On peut voir notamment que dans la définition du trouble borderline, le critère d'impulsivité doit concerner au moins deux domaines de la vie.
Et de manière générale, l'impulsivité, c'est le résultat à la fois d'un tempérament, c'est-à-dire d'un capital qu'on a à la base et dans les gènes, et de l'environnement, puisque c'est l'environnement qui nous façonne.
Chez les personnes qui manifestent de l'impulsivité, on retrouve en général, 4 grandes dimensions. La première dimension, c'est l'urgence. Sachant que l'urgence ici, correspond au fait d'agir précipitamment. Et ça correspond aussi à la difficulté qu'on peut avoir à réfréner un comportement, en réponse à une émotion - que l'émotion soit d'ailleurs positive ou négative. Puisque cette émotion va accaparer l'attention.
La deuxième dimension, c'est le manque de persévérance, qui est en rapport avec une difficulté à rester concentré sur une tâche. Et ça correspond là aussi, à une difficulté à réfréner quelque chose mais cette fois, c'est à réfréner des pensées intrusives et parasites. Ensuite, on a la troisième dimension, c'est le manque de préméditation. Et là, c'est plutôt une difficulté à anticiper. Quand on a du mal à prendre en compte les conséquences, quelles qu'elles soient, notamment les conséquences à long terme, quand on prend une décision. Et enfin, la dernière dimension, c'est ce qu'on appelle la recherche de sensations, qui correspond là à une recherche plutôt d'excitation et de nouveauté. Donc en général, quand on est comme ça, on a tendance à l'approche qu'à l'évitement de manière générale, dans la vie. Et on a plutôt tendance à rechercher des conséquences positives, plutôt qu'à éviter des conséquences négatives.
Les émotions jouent un rôle très central dans l'impulsivité, pour la simple et bonne raison qu'elles ont un gros impact sur l'auto contrôle et sur la prise de décision. Quand on sait que, dans le trouble de personnalité borderline, il y a ce qu'on appelle une “dysrégulation émotionnelle”, les émotions arrivent plus vite, sont plus intenses et durent plus longtemps. On peut imaginer donc à quel point l'impulsivité va pouvoir se manifester. Prenons un exemple, si vous vous sentez mal à un moment, que vous avez besoin d'aide, vous allez avoir tendance à solliciter de l'aide, au hasard votre petit ami(e). Si vous lui envoyez un message d'appel à l'aide, en lui disant "J'ai besoin de toi, je ne me sens pas bien" et qu'il ou elle ne répond pas. Qu'est-ce qu’il va se passer ? Dans un premier temps, vous n'allez pas vous sentir mieux évidemment, et vous allez potentiellement pouvoir être un petit peu en colère. "Quand même, il ou elle abuse. Qu'est-ce qu’il fait ? Est-ce que je compte un minimum pour lui ou elle, ou pas ?" Sauf que si vous avez un trouble de personnalité borderline, l'émotion en question va potentiellement prendre des dimensions bien plus intenses. Ça va peut-être pas uniquement se traduire par un sentiment de colère et des pensées, mais cette idée que ce petit ami ou cette petite amie n'en a rien à faire de vous, va peut-être vous conduire à devenir un petit peu agressif dans les actes, et à lui envoyer une bonne série de messages agressive, en disant "T'en n'as rien à faire de moi. Si c'est ça, je veux plus de voir."
Deuxième exemple, plutôt en rapport avec le manque de persévérance, si vous êtes boulimique et que vous venez d'ingérer une grande quantité d'aliments, donc vous vous sentez pas bien, vous avez envie d'aller vomir. Et vous vous dites "Plutôt que d'aller vomir, je vais me mettre devant un bon film pour essayer de me changer les idées." Vous commencez votre film, tout se passe bien, mais rapidement, vous allez vous rendre compte qu'il y a tout un tas de pensées parasites qui arrivent dans votre tête. Des pensées qui vous disent "Il faut que j'aille vomir pour me sentir mieux, sinon ça va pas aller mieux." Vous n'allez tellement pas arriver à réfréner ces pensées intrusives, que vous allez finalement aller vomir.
Un autre exemple en lien avec le manque de préméditation. On va reprendre l'exemple du petit ami, ou de la petite amie, qui en a un petit peu marre de la relation, et qu'il ou elle commence à parler de rupture. Vous allez logiquement ne pas vous sentir bien. Mais si vous avez un trouble de la personnalité borderline, ces sentiments de rejet et d'abandon vont peut-être prendre de telles proportions. Vous allez avoir besoin de vous calmer, en prenant des médicaments par exemple. Là, le problème, c'est que vous allez peut-être, dans cette situation, avoir tendance à tellement vouloir vous calmer, que vous n'allez pas forcément penser aux conséquences de la dose que vous prenez. Vous allez peut-être prendre une dose beaucoup trop importante, avec les risques à la clé, qui sont un surdosage de médicaments. Et vous pouvez en mourir.
Ce à quoi on est le plus souvent confronté en tant que psychiatre, ce sont évidemment les comportements à risque. Il y a pas mal de comportements impulsifs à risque, qui provoquent un effet de soulagement, souvent à court terme. Et c'est ce qui, à la fois fait leur succès, mais c'est aussi à la fois ce qui fait leur piège, puisqu'on va avoir logiquement tendance, si ça soulage à court terme, à répéter ces comportements, qui vont prendre des proportions compulsives et addictives.
Ce qu'on a tendance le plus à craindre, c'est d'une part, les tentatives de suicide et d'autre part, les comportements auto-agressifs : le fait d'avoir tendance à abuser de certaines substances. Ça peut être des drogues, de l'alcool, des médicaments, des dépenses excessives... Ces comportements à risque peuvent survenir pendant des crises de colère, par exemple. On va se mettre à se taper dessus, à taper sur des choses, ou à casser des choses. De manière aussi impulsive, on peut avoir tendance à rejeter des gens, à rompre des relations, ce qui peut se manifester au niveau professionnel aussi, avec des démissions un peu hâtives. À savoir que tous ces comportements ont tendance à survenir, évidemment, dans les situations où on sent une menace de rejet ou une perception de rejet.
Mis à part ça, les complications des comportements impulsifs à risque, ça peut être notamment des blessures, quand on se fait du mal, des surinfections des blessures. Les complications en termes d'addiction, si on se met à prendre régulièrement beaucoup de médicaments. Par ailleurs, il y a aussi des maladies physiques qui peuvent découler de tout ça. Et bien sûr, la complication ultime, c'est le décès. Il peut arriver de manière, soit accidentelle si on n'a pas l'intention de mourir, soit de manière non accidentelle si le comportement impulsif est une tentative de suicide qui réussit.
Pour ce qui est de pallier à ce problème, du côté des médicaments, il faut savoir qu'aucun n'est indiqué officiellement dans l'impulsivité en tant que telle. Mais il y a quand même plusieurs médicaments qui sont utilisés, et notamment, de façon ponctuelle pendant les crises, ou les moments où on est à risque de passer à l'acte, d'avoir un comportement à risque.
Le traitement le plus recommandé en matière d'impulsivité et de trouble de personnalité borderline, c'est la psychothérapie. Il y en a plusieurs qui sont recommandées. Il y a la psychothérapie basée sur la mentalisation, la TCC - Thérapie Comportementale et Cognitive - dont la TCD est dérivée, et dont le premier objectif est en général justement de réduire ces comportements à risques, et notamment les comportements suicidaires.
La TCD, c'est une psychothérapie qui s'organise souvent en quatre modules. Premier module, c'est la tolérance à la détresse, qui nous apprend à mieux gérer ces situations de détresse émotionnelle intense. Le deuxième module, c'est la régulation émotionnelle, qui est là pour qu'on apprenne à gérer ses émotions de manière plus générale. Le troisième module, c'est celui qu'on appelle l'efficacité interpersonnelle, utile pour l'impulsivité "relationnelle". Ça nous apprend à avoir des comportements qu'on qualifie d'affirmés, qui se situent à peu près au juste milieu, entre les comportements passifs et les comportements agressifs. Et dernier module, c'est le module de la pleine conscience. Là, on est plutôt sur des méthodes qui vont nous apprendre à faire face aux émotions, à être un peu plus dans l'acceptation de ce qui se passe.
Mon conseil, c'est de retarder l'action en question. Effectivement, c'est plus facile à dire qu'à faire. Mais l'idée derrière tout ça, c'est de ne pas oublier que les moments qui provoquent de l'impulsivité sont des moments qui vont forcément passer. Même 30 secondes, ça marche. Les vagues émotionnelles redescendent. Et ce sera, à ce moment-là, encore plus facile de retarder à nouveau l'action.
Conversation avec le Docteur Igor Thiriez, médecin psychiatre depuis 15 ans, et responsable d’une unité d’admission en hôpital psychiatrique.