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Entre puissance et impuissance


« C'est ça être un homme ! Un grand désir et une totale impuissance... » Yvon Paré

« Je suis médecin infectiologue. Je travaille à l'hôpital Robert Ballanger. Je suis tombé malade du Covid, au tout début de l'épidémie, début mars. J'ai été contaminé par le premier patient qu'on a eu, parce qu'on ne pouvait le tester à l'époque. J'ai fait 15 jours d'isolement. Ça a été l'enfer. La perte du goût et de l'odorat qui n'était pas décrite. A cette époque-là, je me demandais si c'était définitif. J'ai eu de la fièvre en permanence, j'ai perdu 15 kilos. Et quand je retourne au travail, je suis épuisé, je suis stressé.

J'arrive à l'hôpital, et ma première crainte, c'est de contaminer ! Et puis en fait, j'ai découvert un hôpital qui avait complètement changé. Il y avait 1 patient Covid avant que je parte, et en 14 jours, le service était complètement plein : 28 patients Covid... On avait ouvert un service en-dessous qui était abandonné. On a enlevé les toiles d'araignées, on a récupéré les ordinateurs... 28 lits, que du Covid !

La cardio était transformée en Covid. La réanimation aussi... C'était devenu quelque chose de complètement chaotique.
J'avais peur que les gens aient peur de me voir comme un agent contaminant, mais en fait ils n'en étaient plus du tout là, ils étaient débordés... 
Je suis rentré dans cet univers là, avec une sensation d'impuissance...

Rapidement, j’ai joué d'un certain avantage. Vu que j'avais déjà eu le Covid, je me sentais un peu... intouchable par la maladie, et donc je pouvais aller dans les chambres, toucher les patients qui étaient stressés et qui découvraient eux aussi la maladie. J'avais la chance de pouvoir leur prendre la main. Et ça, ça m'a donné une sensation de puissance restaurée.

On a commencé des protocoles thérapeutiques très rapidement. On essayait de faire des choses pour soigner les gens. J'ai pris ces décisions parce qu'on ne pouvait pas rien faire. On était en train d'essayer tous les traitements sur lesquels on n'avait aucune preuve scientifique. Alors qu'on n'avait pas d'autorisation, on a commencé à utiliser les corticoïdes, contre l'avis du conseil scientifique. Et pourtant, ça a été un succès. On voyait que ça fonctionnait.

Donc c'était ça le début de la crise. C'était... tenter des choses. Au début, on a beaucoup essayé. Et bien sûr, maintenant ces traitements sont recommandés.

Ensuite, on a eu l'impression de bien faire, mais malgré tout, on était toujours rattrapés par cette maladie qui allait plus vite que nous.

Il y a un patient qui m'a... traumatisé, j'en faisais des cauchemars la nuit. C'est un patient de 61 ans, qui avait été limité, parce qu'il avait de l'emphysème pulmonaire. Quand on le voyait, physiquement, c'était une force de la nature... Je désespérais qu'on ne puisse pas le soigner. Pour lui, on a à nouveau essayé de combattre la maladie. On a tenté ces traitements sur lui. On pensait qu'on allait pouvoir le sauver avec ça, mais malgré tout, ça n'a pas fonctionné. Je me suis retrouvé dans sa chambre à... à injecter de l'hypnovel et de la morphine pour ne pas qu'il souffre.

Moi qui suis dans mon impuissance... dans l'incapacité de le sauver malgré tous les efforts, toutes les tentatives qu'on a pu faire. Malgré tous les appels à toutes les réanimations de l'Ile-de-France, malgré tout ça... me retrouver dans sa chambre avec lui qui étouffe, qui agonise, et moi qui abandonne... Ça m'a paru une éternité.

On a tous essayé, je pense cette année, de faire le maximum en tant que soignants. Le Covid nous a toujours devancés. On a essayé d'affirmer notre puissance, mais ça a été difficile... Ça a été très difficile... »

Benjamin Rossi, infectiologue


Crédit photo : Road Trip with Raj

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Entre puissance et impuissance

"Entre puissance et impuissance" par Benjamin Rossi

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