Le blog de Stream Affect

Quand le patient refuse le traitement...

« J'ai une volonté de fer. Mais c'est toujours la même histoire, le fer... ça rouille. » Quino

Dans les maladies chroniques dont je m'occupe - les maladies inflammatoires de l'intestin - les traitements sont essentiellement des immunosuppresseurs, ou de la chirurgie. Ce sont les deux types d'approches. Si on parle des immunosuppresseurs et quand on informe les patients sur ces médicaments, ils voient les effets secondaires potentiels. 

Le problème, c'est que l'esprit humain est ainsi fait, qu'il ne retient que le négatif. On voit « risque d'infection », « risque de cancer », etc. Et il n’y a que ces mots-là qui s'impriment dans la tête du patient. Il en oublie que le médicament qu'on lui propose de prendre, a un intérêt pour qu'il aille mieux. 

Ça demande un vrai travail de pédagogie, d'essayer de "convaincre" le patient, de montrer qu'on est soi-même vraiment convaincu que ce que je lui propose, c'est ce que je ferais - que ce soit pour moi ou pour quelqu'un de ma famille. Et puis après, on essaie de faire réaliser au patient toute la problématique de ce qu'on appelle la balance entre le bénéfice et les risques. On explique que, certes il y a un risque, mais le bénéfice est beaucoup plus important. Et une des manières d'expliquer ça en sortant du domaine médical, c'est de dire « Voilà, quand vous prenez votre voiture, pour partir en vacances, il y a un risque qu'il y ait un accident mortel et que les personnes présentes dans la voiture meurent dans l'accident. C'est possible, ça arrive et ça arrive tout le temps ! Mais vous estimez que ce risque est bien inférieur au bénéfice que vous avez à vous rendre sur votre lieu de vacances. » C'est exactement pareil avec les médicaments. 

Mais souvent, le patient oublie qu'il y a les risques de ne pas prendre le médicament, et entre guillemets, c'est les effets secondaires de la maladie. Et donc, c'est pour ça qu’il y a cette balance. Le médicament n'est pas que du négatif, sinon on en prescrirait jamais évidemment...

Par exemple, j'ai en tête une patiente qui a une maladie de Crohn et qui avait un rétrécissement à la fin de l'intestin grêle. Elle faisait des épisodes d'occlusion de manière répétée. Tous les mois, elle se retrouvait aux urgences. À chaque épisode d'occlusion, elle prenait un risque de perforer son intestin et qu’il y ait des conséquences beaucoup plus graves. Je voulais la faire opérer mais elle ne voulait pas. Et malgré des mois et des mois de discussions, la patiente ne voulait pas. À un moment donné, je lui ai dit « Écoutez, je comprends. Mais dans ces conditions, je ne peux plus m'occuper de vous parce que vous prenez des risques trop importants. Je ne peux vraiment rien faire si jamais vous faites une perforation de l'intestin, vous allez vous retrouver en réanimation, opérée, on va vous enlever un gros morceau de l'intestin. C'est vraiment pas raisonnable, et moi, je ne peux pas assumer ça. » Le fait de lui dire ça, elle a compris que c'était vraiment très important et elle a accepté de se faire opérer. Et depuis sa maladie, elle est calme. On a mis un traitement après la chirurgie. Et elle a une vie complètement normale...

Ça arrive, mais c'est exceptionnel ! Je pense que ça m'est arrivé deux fois d'en arriver à cette extrémité. Parce que je ne peux pas assumer le risque que vous prenez pour vous-même. Je ne peux pas l'assumer, moi, en tant que médecin. C'est comme quand il y a quelqu'un qui décide de se jeter d'un pont, sans élastique. « Non écoutez, faites ce que vous voulez, mais pas avec moi quoi. »

Si vraiment on sent qu'il y a quelque chose qui fait que, même en discutant encore des heures, on sent que ça ne va pas régler les choses, à ce moment-là, j'encourage les gens à aller voir un autre médecin. Assez fréquemment, juste le fait de dire ça, le patient est presque soulagé, et se dit « Bon bah ok, je fais ce que vous me dites. Je vous fais confiance. » Parce qu'en fait, il se dit « Si le médecin m'encourage à aller voir quelqu'un d'autre pour confirmer ce que lui dit, c'est qu’il est vraiment 1. suffisamment sûr de lui, et 2. il n'a aucun intérêt à prendre cette décision plutôt qu'une autre. » Parfois, il veut avoir le deuxième avis, je trouve ça complètement normal. Quand on achète une maison, on demande des avis à d’autres personnes. Pour sa santé, pourquoi on ne demanderait pas l’avis à d’autres personnes ? 

Les cas où je suis le plus frustré - ça, c’est un exemple précis. C'est un patient qui a une maladie de l'intestin, une maladie de Crohn avec une inflammation très étendue, qui va maigrir, se dénutrir, prendre des risques vraiment pour sa vie... et qui refuse les traitements. C'est souvent des patients jeunes, un peu rebelles. De toute évidence, il y a une part de rejet un peu immature. Et là, c'est extrêmement frustrant parce qu'on a l'impression d'être avec son enfant et, c’est un caprice ! Sauf que le caprice, c'est la vie en jeu du patient. On sent qu'on pourrait faire quelque chose et le patient refuse qu'on l'aide. Mais pour des mauvaises raisons. Pour un médecin, c'est le pire. Il sent qu’il peut faire quelque chose, et le patient lui dit « non ».

Conversation avec Harry Sokol, Professeur au service d'Hépato-gastro-entérologie à l’hôpital Saint-Antoine.


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"Quand le patient refuse le traitement" par Pr. Harry Sokol

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