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Pourquoi sommes-nous dépendants ?

Posons les bases

L’être humain n’est pas autosuffisant, il a besoin d’apports extérieurs pour vivre. Nous sommes donc tous “dépendants”, mais ce n’est pas cela que nous considérons comme une dépendance à proprement parler… On n’est pas dépendant à l’eau. On a besoin d’eau. 
La première distinction à faire, c’est donc de séparer les besoins des dépendances. Le corps ne sait pas produire lui-même certains acides aminés, certains acides gras... On va devoir aller les chercher dans l'environnement via la nourriture, sous peine d'être en carence. Ce sont des besoins fondamentaux, nécessaires, vitaux, mais pas des dépendances !


La dépendance, comment ça se passe ?

On parle généralement de trois niveaux d’usages : l’usage simple (maîtrisé, sans dépendance), l’usage nocif (ou abus : on identifie des conséquences dommageables de la consommation mais il n’y a pas de dépendance) et la dépendance qui se manifeste par la perte de contrôle du sujet sur ses consommations.

Techniquement, il y a dépendance lorsque l’organisme est susceptible de pourvoir lui-même à son propre besoin, mais qu’en raison de l’usage ou de la consommation de substances de substitution externes, il ne peut plus produire cette substance lui-même.

L'exemple le plus typique est celui de la nicotine. On produit nous-mêmes de la nicotine, mais si l’on prend de la nicotine extérieurement, notre capacité à la produire nous-mêmes va diminuer. En plus de retirer son savoir-faire à notre organisme, on va aussi activer notre système de récompense, le système dopaminergique, qui donne du plaisir. Le corps va se satisfaire de recevoir la substance extérieurement, et va devenir paresseux en quelque sorte. Il va progressivement arrêter de la produire.  C’est le début de la dépendance qu’on appelle “corporelle”, et qui arrive après la dépendance “psychologique”. Enfin, la capacité qu'a le corps à synthétiser lui-même les substances, va elle aussi s’éteindre au fur et à mesure qu’on les lui apporte de l’extérieur.
C’est le cas pour le cortisol, les laxatifs, les médicaments psychotropes... qui comme la nicotine, peuvent aussi nous rendre dépendants. On devient dépendant du plaisir que nous procurent ces substances. Pire, la substance qui génère le plaisir et qui active le système de récompense, va créer une dégradation des autres formes de plaisirs. En effet, les “bons plaisirs” empruntent les circuits dopaminergiques avec une intensité plus faible, donc moins “whaouh” en intensité, mais comportant moins de risques de dépendance...

À un moment donné, la dépendance à la substance ne sera plus de l’ordre du plaisir, mais le but de la consommation sera de calmer d'autres types de failles. 
Si on prend l’exemple de la faim, on parle bien d’un besoin, donc de quelque chose qui paraît nécessaire. Cependant, dès lors qu’on ressent la satiété et que ce septième carré de chocolat sert simplement pour satisfaire un plaisir, alors on entre dans la zone où on détourne le produit pour un plaisir...
Savoir quand on rentre dans l’excès n'est pas la difficulté. L’enjeu principal est plutôt la capacité de frustration, d'acceptabilité de la perte de plaisir. On le sait rationnellement, mais pas émotionnellement, et nos émotions elles, sont plus dures à frustrer.
En se frustrant, on entre alors dans le processus du deuil, de la perte de quelque chose. On peut parler du “deuil du sucre” par exemple... Il y a plusieurs étapes à cela. La première étape est la frustration, la colère. On n'accepte pas de ne plus l’avoir. Une fois qu'on a franchi la colère, on arrive à la tristesse. On n'aura plus de chocolat. Cette émotion douloureuse coupe l'envie, afin qu’elle ne soit plus aussi manifeste. C’est à ce moment-là que l'éclaircie apparaît, et qu’on fait le deuil. 
Nous devons traverser ces deux émotions fondamentales, la colère et la tristesse, pour apercevoir l'éclaircie. Mais l'individu dépendant a tendance à céder, ou à la colère ou à la tristesse, et à vouloir arrêter cette émotion immédiatement en cédant, en l’occurrence dans notre exemple, en mangeant du chocolat. Sortir de la dépendance dépend de notre capacité à franchir ces deux étapes. Si on n'a pas les ressources pour le faire, si la tristesse est trop profonde ou la colère trop forte, on va aller vers le comportement qui satisfait le désir, le besoin dont on est dépendant.
Lorsqu’on n'est pas dépendant au contraire, on ne ressent pas le besoin de faire le deuil car il est automatisé, il n'est pas dramatisé. Il n'y a pas un gros effort émotionnel à fournir car ni la colère ni la tristesse ne sont très présentes. Dans ce cas, l’absence ne génère pas de manque. On n'éprouve pas une détresse émotionnelle à ne pas avoir telle ou telle chose.

Prenons la différence entre un fumeur et un non-fumeur par exemple. Le non-fumeur ne fait aucun effort, il ne ressent aucun manque à ne pas fumer car il n'a pas été au contact de la substance. Son système personnel produit de la nicotine. Il n'a pas de représentation symbolique de ce qu'est la cigarette et son système de récompense ne s'est pas activé. Donc il est indifférent à la substance.


Que recherche-t-on comme plaisir ?

On peut distinguer trois grandes catégories de satisfactions recherchées à travers l’usage de substances psychoactives :
  • l’aspect hédonique : plaisir, sensations intenses et inhabituelles.
  • l’aspect social : entrer dans des cadres et des codes sociaux renforçant l’identité.
  • l’aspect thérapeutique : soulager des tensions et souffrances internes, notamment celles associées à des affects générés par la relation à autrui et la pensée.

Il est intéressant de voir au travers du schéma ci-dessous que les différentes substances psychoactives n’ont pas toutes le même potentiel de satisfaction recherchée.



Sommes-nous tous logés à la même enseigne ?

Les effets des substances et le risque de développer une addiction dépendent de différents facteurs.
  • des facteurs liés aux produits : substances utilisées, quantités absorbées, fréquence et durée des consommations…
  • des facteurs individuels : héritabilité génétique, histoire personnelle, facteurs psychologiques et familiaux, accidents de vie…
  • des facteurs environnementaux : contexte social, culturel…

Les personnes ne sont pas égales devant le risque de dépendance, tant sur le plan biologique que psychologique. Arrêter la consommation de produits, ou la réduire, s’avère plus ou moins complexe suivant le stade où en est la personne dans son usage. Le risque de reprise de la consommation est fréquent pour les personnes dépendantes : ces reconsommations sont souvent ressenties comme un échec. La sortie de la dépendance nécessite souvent plusieurs étapes d’accompagnement et de soins.

L'ultra dépendance, tout comme l'hyper autonomie, sont deux extrêmes, amenant chacune son lot de difficultés.

L'hyper autonomie signifie qu'on n'a plus besoin des autres. On est autosuffisant, on sait tout faire, ce qui limite beaucoup les échanges humains. En général, cela ne correspond pas tant à la capacité réelle de savoir tout faire, mais plutôt à la difficulté psychologique de reconnaître qu’on a des besoins externes. Il s’agit de la difficulté qu'ont certains individus à utiliser les liens aux autres, pour les aider à avancer ensemble.

Inversement, l'ultra dépendance apporte aussi beaucoup de difficultés puisque l'estime de soi se nourrit de notre sentiment d'efficacité personnelle, “ce que j'arrive à faire moi-même”, “comment je peux me débrouiller”… Quand on est trop dépendant, on va chercher des solutions à l'extérieur beaucoup plus que par nous-même, donc on va limiter ce sentiment d’efficacité personnelle. En étant trop dépendant, on ne peut pas subvenir soi-même à ses besoins, ce qui nous met en situation de dépendance. On le voit à l'échelle nationale, quand on n'a plus de pétrole par exemple…

Lorsque l'on sort de ces deux extrêmes, la dépendance peut avoir ses lettres de noblesse. Par exemple, quand on est petit, on apprécie la dépendance parce qu'on se sent protégé par l’autre. On aime se laisser tomber dans les bras plutôt que de marcher tout seul. Mais si marcher seul est éprouvant, cela nous apporte aussi des sentiments très positifs. 



Crédit photo : Kychan

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