« La solitude est un plat qui se mange seul. » Achille Chavée
On attend dans une cuisine, on est 6-7 debout pendant une heure. C'est assez oppressant. Il n'y a pas de fenêtre et je suis très très stressé. Et on monte sur scène... et on bide tous. On a souvent ça les humoristes je pense, c'est que, quand tout le monde bide, on se prend pour des héros, on se dit "t'inquiète même pas ! Moi je vais monter. Allez, Simon t'es préparé, t'y vas !" Et j'arrive et en fait, pas du tout ! J'arrive sur scène. Première vanne. Pas de rire. “Allez ! Bonsoir…” T'as des gens en face de toi qui te regardent et qui, soit ne comprennent pas et tu le sens dans le regard, soit ne sont pas avec toi, soit sont carrément gênés. T'as ce brouhaha dans le fond en même temps, c'est très dur de jouer quand t'as du bruit. Tu commences à toucher le pied de micro, un truc de "stand-upper" stressé. Tu regarderas, si tu vois des humoristes c'est intéressant. Si ça ne marche pas ou quand ils partent sur une nouvelle idée, c'est comme une ancre.
T'as un truc où tu te regardes jouer. Tu commences à sortir de ton texte "est-ce que les gens voient que je transpire ?" Et puis, tu vois le regard de la fille à droite et tu te dis "attends, elle me regarde, elle rigole pas du tout. C'est horrible." Et t'es plus là ! Et c'est ça le plus dur sur scène, c'est d'être là... d'être dans le moment présent. Et là tu ne l'es pas du tout pour le coup pendant un bide. Tu perds ton rythme... Le truc où dans ta tête, chez toi, tu t'es entraîné avec une tondeuse dans la main, et tu t'es dit "Yes ! Là rire !" Et quand t'as pas le rire, il y a un blanc. Tout se désaccorde. L'humour c'est de la musique. Tu viens chercher un truc pour “connecter” avec les gens, et là, tu ne connectes pas.
Ce qui démarque le stand-up, c'est que tu parles aux gens, et que tu casses le "quatrième mur". Ce qui n'est pas forcément le cas au théâtre, où tu joues, et peu importe si les gens rigolent ou pleurent, tu joues. Au stand-up, tu dois capter la salle, et d'ailleurs tu ne dois pas jouer tout le temps le même texte de la même façon.
La solitude est énorme. Encore plus parce que t'es seul devant des gens. Tu sors de scène, t'es tout seul. Tu te sens vraiment pas bien. Tu pars, t'es tout seul. Tu prends le métro. Tu montes six étages, tout seul. Et puis tu rentres dans ton 9 mètres carrés, tout seul. Tu prends une douche froide hein ! Tu manges des pâtes en même temps. T'arrives avec un niveau de solitude très élevé, et tu te dis "eh il va baisser un peu", et il est encore plus élevé qu'à ton arrivée.
Il y a beaucoup d'humoristes qui sont malheureux. C'est des gens qui font rire mais si tu montes sur scène en stand-up, c'est-à-dire tout seul, sans costume, pour parler de toi... Il y a un truc qui est bizarre. Va chez le psy ! »
Simon Pintau
Crédit photo : Sasha Freemind
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